6 - « La Civilisation » !

mercredi 1 juin 2011

« On n'apprend pas à mourir en tuant les autres. »
  [François René de Chateaubriand]


Les troupes d’élite de l’armée française - La légion étrangère au Maroc

« La France, l’Allemagne et l’Espagne s’observent à la façon de trois apaches qui pensent à dévaliser le même « pante » et qui, chacun de son côté réfléchissent sur le meilleur moyen à employer pour se réserver la plus grosse part du butin.
Ces pratiques de brigandage à l’encontre des peuples faibles sont vantées dans les manuels de morale civique, sous le nom de « patriotisme ». En sorte que, de nos jours, le patriotisme peut se définir ainsi : Mise en œuvre d’une série de canailleries diplomatiques et militaires dans le but de subordonner un peuple faible dit non civilisé à un peuple fort dit civilisé, de telle façon que les financiers, les tripoteurs et les politiciens du second puissent s’enrichir des dépouilles du premier.




Campagne du Maroc  1911  -   Les troupes étaient cantonnées dans la kasbah

Quand, en vertu de cette définition, les Français envahissent le Maroc, ils agissent en bons patriotes. Par contre, les Marocains, qui supportent avec mauvaise humeur l’invasion étrangère et tentent de défendre leur sol, sont des rebelles, et on le leur fait bien voir. Que ne se précipitent-ils pour bénir ceux qui consentent, par pur patriotisme, à les juguler et à les piller ! Pourquoi ont-ils le mauvais goût de ne pas nous aimer !



Campagne du Maroc 1907 - 1911 - Résistants allant au combat.

Parmi les trois peuples apaches qui flairent les poches marocaines en riboulant des yeux d’assassin, la France occupe glorieusement la position la plus avantageuse : elle a, sur le Maroc les droits incontestables que lui donne le voisinage.
C’est du moins ce qu’affirment gravement nos diplomates et nos hommes politiques les plus distingués. De ce que l’Algérie est voisine du Maroc, il découle, paraît-il, que nous avons des droits sur ce pays. Argumentation puissante que je recommande aux avocats devant les tribunaux. Si le cambrioleur est le voisin du cambriolé le délit n’existe plus, le voisinage donnant au premier des droits certains sur les biens du second.
Mais nous avons encore d’autres droits sur le Maroc. Ils résultent du fait que des banques françaises ont prêté jadis de grosses sommes au Sultan prédécesseur de Moulaï Hafid. La France républicaine et radicale, solidaire des anciens tripotages de ses financiers et des nouvelles opérations que d’autres financiers méditent est donc patriotiquement autorisée à envahir le Maroc et à lui dicter ses lois. Son intervention ne saurait avoir d’autres limites que celles que pourront lui imposer les deux autres peuples apaches qui guignent la même proie.



Campagne du Maroc - Compagnie Montée en Marche

Relisez tout ce qui a été fait au Maroc par nos dirigeants, nos diplomates et nos guerriers. Il y aurait là de quoi rédiger un véritable manuel de « canaillerie pratique » à l’usage de ceux qui pensent à dévaliser leur prochain.
En vertu des droits que nous tenons du voisinage et des prêts usuraires faits par nos banques, nous posons un premier pied au Maroc. Les Marocains font la grimace et se rebiffent. Alors, nous bombardons et mitraillons ces « rebelles ». Nous brûlons leurs camps et leurs douars.



Guerre au Maroc pièce de 75 en action

Ceci fait, et toujours en vertu du patriotisme le plus pur, nous leur imposons des contributions pour payer les dégâts que nous avons commis chez eux. Et, ensuite, nous étonnons de voir qu’ils ne sont pas contents.
Leur pays est ruiné. Leur gouvernement, moralement prisonnier de la France, n’a plus le sou. De lourds impôts les accablent. Il est naturel que le feu couve sous la cendre et que des signes de colère se manifestent par ci par là.
Et alors, c’est le grand coup. Nous mobilisons quarante mille hommes pour rappeler ces « rebelles » à l’ordre. Les choses en sont là.



Les victimes

En réalité, cet envoi de troupes est une provocation nouvelle. Provocation hypocrite et basse, qui, si elle suscite, comme on l’espère, une nouvelle explosion de colère légitime chez les Marocains, permettra aux requins coloniaux d’atteindre le but si longtemps poursuivi.
Et ceci montre comment un peuple qui se dit et se croit civilisé peut, sous l’action de dirigeants dominés par les puissances financières, se ravaler au niveau des apaches qui l’œil sanglant et le couteau au poing, préparent et amènent l’occasion qui leur livrera le « pante » dont ils convoitent la bourse.
Pour qui réfléchit, tout cela est à faire vomir. Il y a des moments où l’on se demande sur quel coin de terre on pourrait bien se réfugier pour fuir la sottise barbare et sanglante qui règne encore chez les peuples qui se piquent le plus de civilisation. Partout, le mensonge est roi.
Et d’ailleurs, le Maroc, si riche en mine, en forêts, en terrains, mais si difficile à conquérir à cause des convoitises rivales, n’est pas le seul terrain où s’exerce le cambriolage français.
Nous conquérons, nous civilisons, nous colonisons sur d’autres points, au Tchad et ailleurs.
Et voici comment cela se passe :
Première période : Nous canonnons, nous mitraillons, nous razzions, nous incendions, nous pillons. C’est la glorieuse conquête faite avec des armes perfectionnées sur de malheureux indigène, armés de mauvais flingots.



Douar abandonné par ses habitants
Il a été canonné, mitraillé, razzié, incendié, pillé(Maurice ALLARD)


Deuxième période : Nous arrachons la terre aux indigènes et nous la donnons, sous forme de concessions, à de riches triporteurs, à des journalistes gouvernementaux et même à des politiciens influents. C’est la colonisation qui commence.[Voir : Expropriation des Kenitriens en faveur des colons (http://centenaire-de-kenitra.blogspot.com/2010/07/expropriation-des-kenitriens-en-faveur.html) ]


De Casablanca à Kenitra en vue de Méhydia

Troisième période : L’indigène, exproprié et réduit au rôle de salarié, est forcé de travailler à vil prix sur les terres concédées, au profit des concessionnaires. L’Etat lui reprend sous forme d’impôt, son chétif salaire. L’alcool civilisateur, que nous lui versons à foison, fait le reste.


L’indigène, exproprié et réduit au rôle de salarié

Enfin, tout dernièrement, des parlementaires ingénieux ont trouvé un nouveau moyen d’utiliser l’indigène tout en continuant de le civiliser. On le transforme en soldat, on lui donne des canons et des fusils et on l’emploie à razzier, à incendier, à piller, c’est-à-dire à civiliser d’autres peuplades.


Colonne de Fez 1911 - Goumiers rejoignant la colonne Brulard

Civilisation, que de crimes on commet en ton nom ! Les hommes ne savent encore que se vautrer dans la boue sanglante. »
Maurice ALLARD
L'Humanité : Numéro 2580 – P. 1
11- 05 – 1911



Maurice Édouard Eugène Allard, est né le 1er mai 1860; il est mort le 27 novembre 1942. Avocat, journaliste et député du Var de 1898 à 1910. Fit ses études de droit à Paris. Avocat, inscrit au barreau de Paris.

Journaux de 1911


Le Petit Journal 1911-05-19  Numéro 17675 P 4
Aux dernières nouvelles reçues, la marche de la colonne volante vers Fez parait être toujours retardée. La dépêche suivante l’explique :
Tanger 18 Mai.

Un radiogramme d’El-Kasar, en date.
Le même radiogramme signale un vif combat qui a eu lieu le 16 entre El-Gaeddari et Lalla-Ito, combat au cours duquel les Beni-Hassen subirent des pertes importantes.
À propos de ce combat, le correspondant à Rabat de l’Agence Fournier télégraphie, de son côté, à la date du 17 mai, que la colonne Brulard s’est rencontrée le 16 mai avec un campement indigène de la tribu des Beni-Hassen, le même qui attaqua récemment plusieurs convois entre Salé et El-Knitra.
Après un assez vif engagement, un détachement de la colonne dispersa les rebelles. Au cours de cet engagement, le lieutenant Balambois, un sous-officier et un goumier ont été blessés.




Le Matin 1911-05-19  Numéro 9943  P 3
Camp d’El-Qounitra, 8 mai, midi. – Dépêche de l’envoyé spécial du « Matin » (par rekkas spécial à Rabat). – Cette nuit à trois heures et demie, le camp était brusquement réveillé par la général et prenait aussitôt les armes.
Sortant de ma tente en pleine obscurité, je me heurte à un escadron de chasseurs en train de seller les chevaux.
Une vague rumeur court sur tout le camp ; pas une lueur ne brille ; pas un commandement ne retentit.
Quelques heurts métalliques indiquent seuls une animation inaccoutumée.
Je m’informe aussitôt des motifs de l’alerte et j’apprends qu’un petit poste avancé établi dans le sud, du côté de la forêt de Mamora a tiré plusieurs coups de feu, donnant l’alarme.
Trois compagnies de tirailleurs vont garnir les tranchées avancées creusées dans cette direction, et attendent, les armes chargées et le magasin approvisionné.



Le Matin 1911-05-20  Numéro 9944  P 3
Casablanca. 18 mai.- Dépêche particulière du « Matin » (par radiotélégramme à Tanger). – On annonce que les Beni-Ahsen, les Zemmour et les Zaer ont envoyé des émissaires aux tribus Tadla, les sollicitant de se joindre à eux pour combattre la colonne française.
Les Tadla auraient répondu qu’ils réservaient leur réponse jusqu’après la moisson, ils verront alors ce qu’ils auront à faire.



LE FIGARO    1911/05/20 (Numéro 140). P 1

Au Maroc
La marche vers Fez
Dans le Gharb
La moisson d'abord
Une dépêche de Casablanca
« Les Zaers, les Zemmours et les Beni-Hassen ont envoyé des émissaires aux Tadla pour les inviter à se joindre à eux pour la rébellion. » Les Tadla ont invoqué les moissons pour différer leur réponse. »


Le Petit Journal 1911-05-21 -Numéro 17677 P 1
Au cours d’une attaque du camp d’El-Knitra,
un capitaine colonial a été tué.
A peine connaît-on le chiffre exact des morts et des blessés tombés avec le capitaine Labordette dans le combat d’El-Alouana, dans la région de la Moulouya, qu’une dépêche nous apprend que dans l’autre partie du Maroc où opèrent nos troupes, sur la route de Rabat à Fez, un capitaine colonial a été tué. Voici cette dépêche :
Tanger, 20 Mai.
El-Knitra, 19 Mai. – Le camp a été attaqué aujourd’hui par un parti de Beni-Hassen. Pendant une sortie faite pour le dégager, un capitaine colonial a été tué.
On ne sait rien de plus sur ce nouveau combat et la seule autre information parvenue hier à Paris relativement à la colonne volante dit que l’enseigne de vaisseau de Carsalade doit partir avec une vedette et un chaland pour remonter le cours de Sebou. Cette expédition est une expérience destinée à assurer les moyens de ravitaillement de Fez par la voie fluviale. L’enseigne aura avec lui une dizaine d’hommes, le goum fera la police des berges.




Le Matin 1911-05-21  Numéro 9945  P 1 Lettre de Ceuta à Tanger

L’opinion indigène

  Tanger, 20 mai. – Dépêche particulière du « Matin ». – J’ai eu ce matin l’occasion d’assister à la traduction d’une lettre adressée du Gharb, par un protégé marocain de Ceuta à son associé européen de Tanger, et apportée par rekkas spécial :
« Plusieurs méhallas de Français, très nombreuses, ont traversé Dar-Zrari. Elles ont été attaquées par un grand nombre de tribus, qui en ont tué beaucoup ; mais il a été impossible d’empêcher les Français de poursuivre leur route. Ils sont comme des sangliers qui couchent et brisent tout sur leur passage. Ils passent quand même. Ils sont comme des sauterelles : quand les premiers ont passé, les autres arrivent. On croit qu’il n’yen a plus, et il en vient toujours, on entend le bruit de la fusillade comme un roulement de tonnerre qui ne s’arrête pas. »


LA PRESSE  1911/05/21 (Numéro 6907). P 1

AU MAROC
NOUVELLE ATTAQUE DU CAMP DE KENITRA
UN CAPITAINE TUE
Tanger, 20 mai. El-Kenitra, 19 mai.

Le camp a été attaqué aujourd'hui par un  parti de Beni-Hassen.
Pendant une sottie faite pour le dégager, un capitaine colonial a été tué.
L'enseigne de Carsalade doit partir avec une vedette et un chaland pour remonter le cours de l'oued Sebou. Cette expédition est une expérience destinée  à assurer les moyens de ravitaillement de Fez par la voie fluviale. L'enseigne aura avec lui une dizaine d'hommes, le goum fera la police des berges. ̃
La colonne Daîbiez-Brulard était hier à une trentaine de kilomètres à l'est de Sidi Gueddard, à la hauteur d'Hadjar Ouaguef à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Fez. Le général Moinier suit avec 2500 hommes ; un autre échelon partira le 28 mai de Mehedya.


LA PRESSE   1911/05/23 (Numéro 6909). P 1

L'attaque de Kenitra
Tanger, 22 mai. Un radiotélégramme de Rabat, en date du 21, confirme l'attaque de Kenitra qui s'est produit le 19 courant.
Au cours de cette rencontre, le capitaine des tirailleurs Petitjean et un tirailleur ont été tués deux soldats des troupes coloniales ont été blessés.
De leur côté, les Berbères qui ont été repoussés ont subi de grossies pertes.




Le Petit Journal 1911-05-23  Numéro 17679 P 1
LES ÉVÉNEMENTS DU MAROC
(De notre envoyé spécial)
Tanger, 22 Mai.
Il est vraisemblable que le général Moinier n’arrivera pas à Fez avant le 23 ou même le 24 mai, non que les Marocains entravent sérieusement la marche, mais la faute en est au manque d’approvisionnements.
Aux dépêches du gouvernement enjoignant impérativement depuis dix jours de hâter la marche de la colonne volante, le général répond que pour ravitailler plus vite, tous les chameaux, les mulets de la Chaouia et même de Gharb furent déjà réquisitionnés.
Un chameau ne porte pas un nombre considérable de kilos, diminué chaque jour par sa propre consommation. Il faudrait une quantité d’arabas ; mais les arabas manquent. Il est indispensable d’en envoyer rapidement, en choisissant Mehedya comme base de ravitaillement. On a diminué ainsi de 130 kilomètres la distance de Fez par rapport à Casablanca.


Caïds de Méhalla Chérifienne